Peigne à laine

Le peignage manuel

Le peigneur manuel travaille avec deux peignes à dents longues, chauffés à une certaine température. L'un est fixé à un crampon, pour que le peigneur puisse, de ces deux mains libres, y déposer une poignée de laine humide qu'il aura préalablement enduite d'huile. Il se saisit ensuite du second peigne, resté à chauffer dans le fourneau, et peigne la laine jusqu'à former un fil, droit et soyeux. Le second peigne est alors remis dans le fourneau, puis l'ouvrier tire la pointe de la laine la plus effilée de son premier peigne, centimètre par centimètre, pour obtenir un ruban le plus long possible. Il a alors besoin d'une aide appelée "nacteur" , fonction généralement occupée par un enfant. Voici le récit autobiographique de Norbert Turquin qui décrit son travail dans un atelier de peignage, alors qu'il avait une dizaine d'années :

"Comme il est resté dans cette laine des impuretés de diverses matières, le gamin la prend des deux mains, une à chaque extrémité, et retire toutes ses impuretés avec le bout des dents. Il ne doit pas cracher : il faut qu'il les fasse couler en chapelet des deux côtés de sa bouche.[...] On se sert des dents pour extraire les impuretés parce qu'il faut que la laine puisse être tirée sans risquer de se déchirer et que les deux mains occupées à ce travail ne peuvent être distraites. J'étais donc condamné à exercer ce métier de quatre heures du matin à dix heures du soir."[1]

Les conditions de travail sont par ailleurs suffocantes dans les ateliers, où règnent une odeur nauséabonde et les vapeurs de charbon. Même si les gestes demandent de la concentration, une longue expérience et une certaine dextérité, le peigneur est moins un artisan qu'un ouvrier qualifié, un maillon dans la chaîne de fabrication du tissu dont il  est complètement dépendant.

La mécanisation du peignage

L'invention de la peigneuse mécanique (Heiman en 1845) met fin à ces conditions de travail épouvantables. Un premier peignage mécanique s'ouvre sur le site de la Tossée en 1847 mais reste de petite taille. Le premier peignage de taille "industrielle" s'affirme avec la création des établissements Allart et Cie, Amédée Prouvost et Holden autour de 1850 (à Croix), puis le peignage Alfred Motte à Roubaix (1879), Lorthiois et Malard à Tourcoing (1880 et 1890).

En 1900, on compte à Roubaix et Tourcoing 16 peignages qui emploient plus de 11 000 travailleurs et produisent 65 millions de kilos de laine peignée. Les usines atteignent des tailles gigantesques et ont des activités de plus en plus intégrées : le triage reste manuel mais les opérations successives de desuintage et lavage, de séchage et graissage, de cardage, d'étirage, de peignage et lissage se font désormais sur machines.

Progrès techniques, progrès social et déqualification

Le rendement est multiplié par 50, et la main d'oeuvre n'a plus besoin d'être expérimentée comme l'exigeait le peignage manuel. Les ouvriers sur machine se contentent désormais d'alimenter la machine et de surveiller les opérations, faisant dire à l'industriel E. Motte " Dans les peignages, la commission a pu constater dans ses visites que la machine faisait tout." (enquête parlementaire de 1904). Le peigneur est désormais un ouvrier sans qualification, tout en bas de la hiérarchie des salaires. On y trouve le pourcentage le plus élevé de Belges et de femmes, facilement remplaçables s'ils ne font pas l'affaire. Enfin, même si les conditions de travail se sont améliorées, elles restent très difficiles, car la chaleur dans les usines est suffocante (la température pouvait atteindre 40°- 45°), l'air chargé de poussières provoquait des maladies pulmonaires, et le bruit assourdissant rendait sourd.

[1] Norbert Turquin "Mémoires et aventures d'un prolétaire à travers la Révolution" in L. Marty, "Chanter pour survivre", p.31

 Bibliographie

 Laurent Marty, Chanter pour survivre - Culture ouvrière, travail et techniques dans le textile à Roubaix (1850-1914), Lille, Fédération Léo Lagrange, 1982, 293 p.