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Vue de l’usine textile François Masurel Frères à Tourcoing, 1916-1918, Photographie, Fonds Masurel, Coll. C.H.L.

L’usine Masurel, rue de Paris, est réquisitionnée pendant la Première Guerre Mondiale pour la fabrication de pièces d’artillerie. Les ouvriers entrant dans l’usine portent différents types de gamelles. Cet objet pratique est utilisé dans plusieurs corps de métiers durant les pauses repas.

Gamelles, Début 20ème siècle, Aluminium et bois, Coll. C.H.L.

Anciennement en bois, en terre vernissée, en fer battu, puis en tôle émaillée, les gamelles ou porte-dîners sont fabriqués en aluminium dès la fin du 19ème siècle. A hauts bords, elles sont ici individuelles et comportent trois à quatre compartiments qui s’emboîtent les uns dans les autres. Le récipient du bas peut contenir de la soupe, les autres le plat de résistance et un accompagnement.

Gourde, Début 20ème siècle, Aluminium et fer, Coll. C.H.L.

Cette gourde en aluminium était appelée « boutelot » par les ouvriers des usines textiles et de la mine. La gourde était généralement remplie de café léger, elle accompagne la gamelle dans la musette de l’ouvrier. Une petite anse permettait de l’accrocher à sa ceinture.

Manger hors de chez soi
De la gamelle au Tupperware
Différents types de gamelles présentes dans les collections évoquent cette tradition ouvrière de la pause déjeuner prise « sur le tas », souvent entre soi, dans la cour de l’usine ou dans une salle de repos faisant office de réfectoire ou de vestiaire. Pour la désigner, l’ouvrier des usines textiles utilise la même terminologie familière que le mineur : il s’agit du « briquet ». L’origine la plus communément admise de ce terme est celle du mot « brique », en picard. Attesté dans le dictionnaire rouchi-français de Hécart et Gabriel-Antoine-Joseph en 1834, « brique » correspond à un « crouton, chiton de pain ».

La gamelle, devenue aujourd’hui un objet identitaire, est considérée dans la seconde moitié du 19ème siècle comme un simple objet utilitaire, nécessaire pour les ouvriers qui se trouvent dans l’impossibilité de rentrer chez eux le midi. Préparée par l’épouse, voire amenée par elle sur le lieu de travail, elle est la traduction concrète des longues journées de labeur et de l’éloignement de plus en plus grand entre l’usine et le domicile. Elle reste encore d’actualité au 20ème siècle notamment pour les travailleurs de nuit :

« Il y avait des gens qui rapportaient leur propre nourriture sur leur lieu de travail. Par exemple les gens qui faisaient des nuits, donc qui ne mangeaient pas avant de partir au travail puisqu’ils commençaient de 9h jusqu’à 5h du matin. Ceux-là, ils prenaient soit leur casse-croûte, soit carrément leur gamelle comme on dit. »

Bouzid, 57 ans, ancien ouvrier de La Tossée, usine textile fermée en 2004 et implantée dans le quartier de l’Union à Tourcoing.

Peu d’études ont été consacrées à la sociabilité autour des pauses repas sur le lieu de travail. Avec qui mange-t-on et dans quel endroit ? Préfère-t-on la compagnie d’un collègue travaillant sur le même poste de travail ou privilégie-t-on des camarades d’une même communauté ou d’une même sensibilité politique, syndicale ?

Le témoignage d’un ouvrier d’une usine textile du Nord souligne le caractère multiculturel et la convivialité des pauses repas organisées entre collègues du service de maintenance au sein de l’entreprise :

« C’était un endroit où on se retrouvait à midi, on l’appelait le « petit bedon ». C’était un petit endroit franchement sympa avec un chauffe gamelle. Il y avait un copain à moi qui s’appelait Joseph K., qui a émigré d’Alsace. Et il y avait Michel, Ali, toute l’équipe quoi. C’était marrant parce que chacun rapportait des plats traditionnels de son pays. Quand je mangeais avec eux, on s’arrangeait pour goûter une fois par semaine une cuisine différente. Alors pour vous dire, dans cette entreprise il n’y avait pas moins de 17 nationalités différentes. Il y avait une fraternité, une solidarité, des échanges de plats de la Méditerranée, de la Belgique, de l’Afrique. »

Bouzid, 57 ans, ancien ouvrier de La Tossée, usine textile fermée en 2004 et implantée dans le quartier de l’Union à Tourcoing.

Ces pauses repas, d’abord improvisées, se ritualisent et témoignent d’une sociabilité volontaire, échappant au contrôle de la hiérarchie. Elles s’organisent en parallèle ou en réaction aux repas collectifs organisés par la direction dans les réfectoires et les cantines.